QUATREVINGT-TREIZE by Victor Hugo

QUATREVINGT-TREIZE by Victor Hugo

Auteur:Victor Hugo [Hugo, Victor]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans - Historique
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-01-26T05:00:00+00:00


III

PETITES ARMÉES ET GRANDES BATAILLES

En arrivant à Dol, les paysans, on vient de le voir, s’étaient dispersés dans la ville, chacun faisant à sa guise, comme cela arrive quand « on obéit d’amitié », c’était le mot des Vendéens. Genre d’obéissance qui fait des héros, mais non des troupiers. Ils avaient garé leur artillerie avec les bagages sous les voûtes de la vieille halle, et, las, buvant, mangeant, « chapelettant », ils s’étaient couchés pêle-mêle en travers de la grande rue, plutôt encombrée que gardée. Comme la nuit tombait, la plupart s’endormirent, la tête sur leurs sacs, quelques-uns ayant leur femme à côté d’eux ; car souvent les paysannes suivaient les paysans ; en Vendée, les femmes grosses servaient d’espions. C’était une douce nuit de juillet ; les constellations resplendissaient dans le profond bleu noir du ciel. Tout ce bivouac, qui était plutôt une halte de caravane qu’un campement d’armée, se mit à sommeiller paisiblement. Tout à coup, à la lueur du crépuscule, ceux qui n’avaient pas encore fermé les yeux virent trois pièces de canon braquées à l’entrée de la grande rue.

C’était Gauvain. Il avait surpris les grand’gardes, il était dans la ville, et il tenait avec sa colonne la tête de la rue.

Un paysan se dressa, cria qui vive ? et lâcha son coup de fusil, un coup de canon répliqua. Puis une mousqueterie furieuse éclata. Toute la cohue assoupie se leva en sursaut. Rude secousse. S’endormir sous les étoiles et se réveiller sous la mitraille.

Le premier moment fut terrible. Rien de tragique comme le fourmillement d’une foule foudroyée. Ils se jetèrent sur leurs armes. On criait, on courait, beaucoup tombaient. Les gars, assaillis, ne savaient plus ce qu’ils faisaient et s’arquebusaient les uns les autres. Il y avait des gens ahuris qui sortaient des maisons, qui y rentraient, qui sortaient encore, et qui erraient dans la bagarre, éperdus. Des familles s’appelaient. Combat lugubre, mêlé de femmes et d’enfants. Les balles sifflantes rayaient l’obscurité. La fusillade partait de tous les coins noirs. Tout était fumée et tumulte. L’enchevêtrement des fourgons et des charrois s’y ajoutait. Les chevaux ruaient. On marchait sur des blessés. On entendait à terre des hurlements. Horreur de ceux-ci, stupeur de ceux-là. Les soldats et les officiers se cherchaient. Au milieu de tout cela, de sombres indifférences. Une femme allaitait son nouveau-né, assise contre un pan de mur auquel était adossé son mari qui avait la jambe cassée et qui, pendant que son sang coulait, chargeait tranquillement sa carabine et tirait au hasard, tuant devant lui dans l’ombre. Des hommes à plat ventre tiraient à travers les roues des charrettes. Par moments il s’élevait un hourvari de clameurs. La grosse voix du canon couvrait tout. C’était épouvantable.

Ce fut comme un abatis d’arbres ; tous tombaient les uns sur les autres, Gauvain, embusqué, mitraillait à coup sûr, et perdait peu de monde.

Pourtant l’intrépide désordre des paysans finit par se mettre sur la défensive ; ils se replièrent sous la halle, vaste redoute obscure, forêt de piliers de pierre.



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